À propos :
Là où les pavés grondent, il n'y a pas d'impasse. Quand la rue tonne, c'est au contraire que les murs s'apprêtent à tomber. Pour le bien comme pour le mal, La Goutte au Nez, fanfare tourangelle, se fait l'égérie d'une ville en ébullition. 50 minutes durant, c'est le flirt avec une sédition urbaine, quasi instrumentale, et insaisissable. Ici, il est question de musique en mouvement, d'un son qui est formé de divers acteurs. Un peu comme un cortège se constitue spontanément. L'union fait la force, dans une manif' comme dans une fanfare : il y a la puissance du groupe et il y a la personnalité de chaque entité qui le compose. C'est ce que "Les pavés grondent" transmet. Narratives, ses quatorze pistes prennent des allures d'opéra insurectionel et humaniste, racontant un condensé de courses poursuite urbaines menées par une espièglerie révolutionnaire qui se réapproprie un lieu dans lequel elle gît terrée depuis bien trop longtemps... Du moins assez pour le connaître mieux que personne. Il y a du romantisme chez ces gens qui sortent de l'ombre, et qui décrètent que c'est désormais eux qui rattrapent la vie, et non pas la vie qui les rattrape. Avis à ceux qui cherchaient à recentrer leur définition d'"underground" : écoutez cet album.
En effet, une fois le disque entre les oreilles, difficile d'imaginer autre chose qu'une bande à l'anarchisme romantique, sortant avec bonheur des bas-fonds sous l'impulsion d'un petit quelque chose de profondément humaniste et d'un grand quelque chose de libertaire. Ecouter la Goutte au nez revient à voir apparaître ici et là des taches de couleur sur une ville vêtue de gris. Ce sont des va-t-en-guerre contre le train-train quotidien, des musiciens qui ont décidé de faire péter une certaine excentricité à la figure de la routine.
Il y a aussi quelque chose de très cinématographique dans ce disque, un peu comme si Tim Burton décidait de raconter La Commune de Paris avec cet univers qui lui est si propre. Peut-être son aspect fantastique ? Allez savoir ! En tout cas, bien enroulées dans la pellicule, les 50 minutes de cet album sous titré "Director’s cut" (en français : le montage fidèle à la volonté du réalisateur), oscille entre Gotham City et les vieilles villes aux places de pierres usées. Dans l'une ou dans l'autre, La goutte au nez y tabasse les artères urbaines, s’échappe par les plaques d’égout, disparaît au coin de la rue quand les sirènes hurlantes s'annoncent au carrefour et raconte ses désordres avec une vitesse de projection capable de varier de 10 à 48 images/secondes. Les éléments qui dominent le rythme du défilement de ces images ? Une section cuivres à la puissance détonante et admirablement mixée. Des saxophones consacrant aussi bien le spleen que l'excitation. Des percussions qui galvanisent le pas du cortège, lui imposant aussi bien des cavalcades d'assaut que des marches déterminées. Un accordéon qui chante les veillées d'armes. Et enfin des voix tantôt harangueuses, tantôt mystérieuses, dont la présence galvanise.
Dans cette manière de créer des décors de toute pièces et d'y insérer autant de protagonistes que de figurants, il y a un petit quelque chose du Herbaliser Band (CF l'excellent "Session 1"). Mais jamais les Herbaliser n'ont monté sur les boulevards des barricades faites d'un croisement entre funk et jungle. Jamais ils n'ont laissé une reprise de Björk émaner sur la ville depuis un vélux sous lequel se trame l'aspiration à un monde nouveau. Jamais ils n'ont fait danser le tiers-état sur une place au son d'un accordéon. Proudhon disait : "Qu’est-ce que le tiers état ? Rien. Que doit-il être ? Tout.". Humour ? Allez savoir. Message ? Sûrement. Alors quand La goutte au nez parachève le grondement des pavés d'une quatorzième piste où s'y chante le droit de se battre pour sa fierté derrière un leader, il s'agit de tout sauf d'un hasard. Flirtant constamment avec l'happening, profondément moderne, voire presque futuriste dans son approche des choses, La goutte au nez raconte une insurrection. Celle qui vient ? Probablement pas. Plutôt celle dont on rêve, celle qui ferait danser Louise Michel, qui remplacerait les bombes de Ravachol par des explosions colorées d'une folie qui aurait habillé le funk d'un haut punk et d'un pantalon jungle. Il y a eu des révolutions de velours, d'oeillets et même orange. Il y a désormais une révolution en fanfare, menée par un disque qui ne connaît pas la reddition.
http://www.thefrenchtouch.org / 24 juillet 2010